Immobilier : comment l'intelligence artificielle va révolutionner le secteur

Dévoilée au grand public français sous les traits du programme ChatGPT, en novembre 2022, l'intelligence artificielle, ou IA, bouscule l'industrie immobilière. En France, 7 % des entreprises du secteur utilisent, à ce jour, au moins une technologie de l'IA (8,5 % en Europe), selon Eurostat. Un marché voué à grandir puisqu'il devrait atteindre 7,56 milliards d'euros en 2024, soit une augmentation de 24,1 % par rapport à 2023.

« Nous sommes à l'aube d'une révolution technologique qui va toucher tous les métiers exploitant un grand volume de données », confirme Lydia Brissy, directrice de la recherche européenne chez Savills, un leader mondial des services immobiliers, qui pressent un déploiement massif des proptechs dédiées à l'IA dans les dix prochaines années. 

Et pour cause. Les capacités de l'IA - la prédiction, l'optimisation via l'automatisation des processus et la production de contenus originaux - offrent autant d'outils d'analyse, de calculs et de projection nécessaires à la résolution d'équations aussi complexes que la décarbonation du parc immobilier ou l'évolution des besoins en logements et bureaux. « Cet ensemble de technologies aura un impact sur la façon dont on détermine les besoins et les usages des locataires, sur la commercialisation des actifs, ainsi que sur leur rénovation », annonce Marie-Laure Leclercq de Sousa, CEO de JLL France, société spécialisée dans le conseil en immobilier d'entreprise.

Si la technologie n'est pas infaillible - les biais algorithmiques et hallucinations (des réponses trompeuses) faussent parfois les résultats -, la promesse d'une performance accrue tend à balayer les inquiétudes sur la place qu'occuperont ces « super assistants » auprès des humains. « L'intelligence artificielle ne supprimera pas d'emplois mais deviendra une source de productivité, créant de nouveaux métiers et fonctions », assure Philippe Boyer, directeur des relations institutionnelles et innovation chez la foncière Covivio. Reste à maîtriser l'outil, en constante évolution, et à acquérir les compétences techniques en interne.

Gagner en agilité

En réalité, les méthodes et langages de l'intelligence artificielle sont déjà bien connus des directions des systèmes d'information (DSI) dans les entreprises. « Les modèles statistiques utilisés dans le machine learning n'ont rien de nouveau. Ce qui a changé, ces dernières années, c'est l'explosion des données et l'apparition de réseaux de neurones, le deep learning, pour les traiter », explique Laurent Escobar, cofondateur de la plateforme Realdata for Real Estate. Si l'IA n'est que l'évolution d'un système existant, encore faut-il, pour en tirer pleinement profit, construire des fondations solides, à travers un socle de données qualifiées… Et transparentes. 

Problème : l'industrie immobilière pâtit de son organisation en « silos » qui ne favorise pas le partage des informations, pourtant essentiel à la création d'un référentiel commun. « Si le secteur parvient à s'aligner sur les bonnes pratiques de la grande distribution ou de la finance, il va gagner en agilité et découvrir de nouvelles façons de travailler, plus transversales », ajoute Laurent Escobar.

La mise à disposition des données est de plus en plus demandée par la profession, notamment depuis l'obligation des reportings ESG (les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance). « Se servir de l'IA pour modéliser un calculateur CO2 national serait une grande avancée pour les acteurs du marché », soutient Bérengère Oster, directrice générale de la société de conseil Wüest Partner France. Dans un environnement de plus en plus contraint, la puissance de l'IA pourrait accélérer la bascule vers la transition énergétique. A condition d'être placée entre de bonnes mains.

L'IA au service du projet social

Conscient du potentiel et des possibles dérives de l'IA, Bruno Reyne, conseiller national de l'Ordre des architectes, milite pour une approche éthique de la technologie . « Il faut pouvoir garder un esprit critique et un contrôle sur le développement de ces outils. A qui autoriser leur utilisation et à quelle fin ? Au sein d'une profession réglementée comme la nôtre, il est important de définir le cadre dans lequel on interroge la machine et selon quels paramètres », affirme-t-il, insistant sur la formation des architectes à ces enjeux. 

Face à la vitesse du numérique, il faut savoir prendre du recul pour confronter le regard humain à l'ordinateur. « L'utilisation des IA doit se faire à l'échelle du temps humain. Nous devons rester humbles face à la complexité informatique et prendre le temps de l'assimiler avant d'en envisager les applications », estime Roland Cubin, directeur des opérations de Groupama Immobilier. 

En partenariat avec l'agence d'architecture PCA-STREAM et le groupe d'ingénierie Artelia, le gestionnaire de patrimoine de Groupama a lancé la chaire Ville métabolisme, inaugurée le 5 février dernier à l'Université Paris Sciences & Lettres. Ce programme de recherches et d'actions, qui se présente comme un lieu de réflexion et d'expérimentation collective entre acteurs publics et privés sur la ville du futur, aura vocation à utiliser l'IA. 

« Chacun des six axes de recherche interdisciplinaires formulera sa propre réflexion sur l'IA afin de recueillir de nouvelles données et d'enrichir ses connaissances sur la ville et son environnement », annonce Etienne Riot, directeur de la recherche appliquée et de l'innovation chez PCA-STREAM. L'avenir de l'IA se jouera, aussi, sur les terrains politique et social. 

Par Eugénie Deloire – Les Echos - Publié le 12 mars 2024 à 07:15 

Les chiffres du marché de l'IA

· La taille du marché français de l'IA devrait atteindre 7,56 milliards d'euros en 2024, soit une augmentation de 24,1 % comparé à 2023, puis il devrait enregistrer une progression moyenne annuelle de 15,34 % à l'horizon 2030. (Statista) 

· La taille du marché européen de l'IA devrait atteindre 76,49 milliards d'euros en 2024, soit une augmentation de 25,9 % comparé à 2023, puis il devrait enregistrer une progression moyenne annuelle de 1,93 % à l'horizon 2030. (Statista) 

· En 2023, les start-up spécialisées dans l'IA ont levé 50 milliards de dollars dans le monde, soit 9 % de plus qu'en 2022 et alors même que les investissements en capital-risque décroissent. (Savills) 

· 590 start-up françaises sont spécialisées dans l'IA. Parmi elles, 76 se consacrent à l'IA générative (sons, images, etc.). (JLL) 

 

Glossaire : les principaux termes de l'IA

· Intelligence artificielle (IA) : ensemble de sciences, théories et techniques simulant l'intelligence humaine. Entraînée à reproduire les capacités cognitives, la machine pourrait se substituer à l'humain pour l'accomplissement de tâches complexes, normées ou répétitives.

· IA générative : système d'intelligence artificielle capable de générer du contenu contextualisé. Souvent utilisée dans des domaines comme la création d'images, de musique ou de texte, l'IA générative produit des contenus nouveaux et originaux à partir des modèles sur lesquels la machine a été entraînée.

· IA prédictive : utilise des algorithmes et modèles pour prédire ou estimer des résultats futurs, analyser des tendances à venir.

· IA d'optimisation : permet d'accroître la productivité d'une organisation et d'améliorer des processus. Les algorithmes vont identifier les meilleures solutions à apporter à un problème complexe.

· Hallucination (ou biais algorithmique) : situation où le modèle de l'IA génère des résultats inattendus, non prévus par l'algorithme, qui polluent le système de l'IA.

· Prompt : une instruction ou un ensemble de directives donnés à une IA, généralement sous forme de texte, pour accomplir une tâche spécifique. Ces instructions varient en fonction du type d'IA et de l'objectif visé.

· Midjourney : programme et service d'intelligence artificielle générative qui crée des images à partir de descriptions en langage naturel (prompts).

· ChatGPT : modèle de langage développé par OpenAI conçu pour générer des textes cohérents et interactifs dans des conversations. Il est basé sur une architecture de type « transformers » qui lui permet d'analyser et de générer des réponses en contexte, en fonction des entrées précédentes de la conversation.

· Deep learning : procédé d'apprentissage automatique utilisant des réseaux de neurones possédants plusieurs couches de neurones cachées. Ces algorithmes, qui possédant de très nombreux paramètres, requièrent un volume très important de données pour être entraînés. (Cnil)

· Machine learning : champ d'étude de l'intelligence artificielle qui vise à donner aux machines la capacité d'apprendre à partir de données, via des modèles mathématiques. (Cnil)