le e-commerce est mort ! Vive le digital !

Alors même que la croissance du commerce électronique ne ralentit pas, le titre de ce billet peut paraître provocateur. Le commerce électronique B2C en France représente en effet 37,7 milliards € en 2012; 76% des français commandent en ligne et il existe plus de 100 000 sites marchands en croissance de 23% par rapport à 2011.

alors, comment annoncer la mort du e-commerce?

Pour comprendre la mutation en cours, il faut comprendre que le commerce électronique après 20 ans d'existence représente 4 à 5% du commerce de détail en France et un peu plus en Grande-Bretagne ou aux USA. Si la croissance se poursuivra inéluctablement, il n'en demeure pas moins qu'une écrasante majorité des transactions marchandes demeura hors du canal électronique. Imaginer un taux de pénétration du e-commerce supérieur à 10 à 15% en 2020 apparaît bien illusoire!

Les e-marchands l'ont bien compris en opérant un mouvement stratégique important, l'ouverture de magasins. Les exemples sont nombreux de pure players qui ont désormais pignon sur rue: Pixmania, LDLC, Cdiscount, meilleurtaux.com, Grosbill.com.

Phénomène corollaire dans l'alimentaire, après Chronodrive, de nombreuses enseignes de la grande distribution se sont lancés dans le développement de "drive", mixant facilité du web et praticité du retrait en magasin. En 2011, l'essentiel de la croissance des GSA est venu des drives.

Outre ce développement multicanal, de nombreux sites marchands de marque ou d'enseigne s'appuient sur la complémentarité sites/magasins avec le retrait en magasin (parfois dans les 2h qui suivent la commande en ligne).

pourquoi constate-t-on de tels développements?

En premier lieu, la croissance du chiffre d'affaires ne peut se cantonner pour les pure players au seul canal Web.

En second lieu, le client, très bien informé, navigue d'un canal à un autre, débutant un processus d'achat sur un canal (magasin par exemple), le terminant sur un autre (site marchand par exemple), et le poursuivant sur un autre encore (SAV, relation client). Plus encore le client, désormais souvent équipé d'un smartphone (43% des français) brouille encore ce processus d'achat. La disponibilité instantanée de l'information en magasin, la comparaison avec des offres en ligne, où à proximité, conduit le client à modifier ses décisions d'achat. L'utilisation en magasin des interfaces tactiles permet de répondre en partie à ces modifications en réinventant la relation client en magasin à l'aide d'une interface digitale en le connectant à ses réseaux sociaux. D'aucun parle de commerce connecté.

par conséquent, l'avenir du e-commerce ne se jouera pas sur le Net uniquement.

Le développement de nouvelles interfaces grâce au numérique conduit à penser que nous sommes à l'aube d'un important bouleversement des interfaces marchandes, comme certains exemples le montrent. Que ce soit Tesco en Corée du Sud ou désormais à l'aéroport de Gatwick ou Delhaize en Belgique à la gare de Bruxelles, leurs initiatives de nouveaux magasins virtuels combinent téléphonie mobile, interface tactile (Gatwick), QR Code et livraison à domicile et se rajoutent aux points de contacts clients existants. Il est assez prévisible que d'autres interfaces-marchandes se multiplient comme la voiture, le frigidaire, les lunettes à réalité augmentée, les imprimantes 3D qui permettent la fabrication d'objets à domicile. Le magnet wifi Evian est bon exemple de ces nouvelles interfaces marchandes qui se développent.

grâce au digital, on assiste donc à une multiplication des interfaces d'interaction marchande.

Dans ce nouvel environnement, la gestion du client devient un enjeu majeur, sinon déterminant. En effet, la multiplication des points de contacts rendra le processus d'achat plus complexe. Une approche intégrée du client, qui dépasse le multicanal et qui tient compte de l'ensemble des canaux à disposition, s'impose donc comme un impératif dans les années qui viennent. En effet, l'expérience client sera éclatée en différents moments/lieux/interfaces. Afin de produire une expérience réussie et différenciante les marques et les enseignes devront s'employer à rendre ces interactions utiles, faciles, cohérentes afin que le client puisse "naviguer" au travers de ces points de contact digitaux ou non. La tâche s'annonce ardue tant les approches actuelles du multicanal s'empêche de comprendre l'expérience du client en intégrant son point de vue dans la conception des relations et des interactions dans chaque canal.

Henri

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Henri Isaac

Je suis docteur en sciences de gestion, maître de conférences à l'Université Paris Dauphine. J'ai été directeur de la recherche et directeur académique à Rouen Business School (2009-2012). Spécialiste des systèmes d'information et de l'économie numérique, mes recherches, à la frontière du champ des systèmes d'information et du management, portent sur les effets des technologies sur les entreprises et leur management. Je suis également spécialiste du commerce électronique et, à ce titre, accompagne des entreprises dans leur stratégie digitale. Je suis l'auteur de nombreuses publications académiques sur ces sujets. Je suis aussi l'auteur, avec Pierre Volle, d'un ouvrage de référence sur le E-commerce (2011, Pearson France).

J'ai par ailleurs été Secrétaire Général de l'Association académique Information & Management (2004-2008) et Responsable scientifique de l'Observatoire Dauphine-Cegos du e-management (2000-2005).
je suis également l'auteur d'un rapport sur  à l'Université Numérique pour la Ministre de l'enseignement supérieur Mme Valérie Pécresse remis en 2008.