Transformation des espaces de travail : quel impact humain ?

Un projet d’aménagement, aussi mûrement pensé soit-il, ne peut aboutir sans l’adhésion des salariés. Mais quels sont les enjeux humains liés à ces projets de transformation ? Le point en 5 questions avec Fredericke Sauvageot, Directrice de l'Innovation et du Développement des Environnements de Travail chez Orange.

Lorsque l’on transforme les espaces de travail, certains salariés voient immédiatement les opportunités qui leur sont offertes quand d’autres peuvent exprimer un certain scepticisme voire du rejet. Comment lever les obstacles potentiels ?

Fredericke Sauvageot : Tout d’abord, il est important de rappeler que les projets dits « immobiliers » sont des projets managériaux qui accompagnent et facilitent les transformations du Groupe et des entités. Ils introduisent de nouveaux environnements de travail et doivent être l’occasion d’impulser un profond changement culturel dans les modes de travail et de management afin que les environnements de travail de demain soient alignés avec l’ambition de la stratégie d’évolution souhaitée pour l’entreprise.

Chacun adhère au changement à un rythme qui lui est propre. Il faut mettre en place un dispositif d’écoute et de perception des salariés au travers de groupes d’expression afin d’entendre les craintes, mieux comprendre les attentes mais aussi recueillir les opportunités que représentent le projet. Ce dispositif contribue à constituer le cadrage stratégique et participe ainsi à l’élaboration de la vision. Vision qui sans l’adhésion des salariés ne suffirait pas pour construire, pour chacun, des environnements de travail innovants, inspirants, vecteur d’image et de confiance.

La transparence est en cela une notion centrale : communiquer sur la vision, le pourquoi du projet et son aspect managérial renforce le sentiment d’appartenance et la fierté des salariés. L’expérimentation est également clé, car les collaborateurs sont rassurés lorsqu’ils peuvent se projeter dans leurs futurs espaces. L’équipe projet (composée des acteurs RH, immobiliers et digitaux) pourra par exemple organiser des learning expeditions en début de projet, c’est-à-dire emmener un groupe d’utilisateurs visiter des environnements de travail innovants aménagés dans d’autres entreprises. En phase de réalisation, il est parfois possible de mettre en place un espace témoin sur le futur site, afin de faciliter la projection des salariés et l’appropriation de leur futur espace de travail.

Et si les doutes persistent, faut-il faire preuve d’autorité ?

FS : Ce serait complètement contre-productif. Il faut plutôt miser sur la force du collectif et laisser du temps pour l’appropriation, pour l’acceptation du changement. Certaines personnes éprouvent par exemple une forte réticence à modifier leur mode de travail, notamment lorsque la résultante de l’analyse d’activités conduit à un passage en environnement dynamique. Des espaces conçus en environnement dynamique signifient de passer d’une logique de propriété à une logique d’identité. La perte du bureau individuel et du poste attribué peut mettre en risque certains salariés plus sensibles à la perte de repères. C’est souvent par l’observation de collègues qui s’épanouissent dans ce nouvel environnement de travail, basé sur l’usage selon les activités, que les freins du salarié s’estomperont naturellement. Ce sera la meilleure preuve du bien-fondé du projet.

La méthodologie de gestion globale des projets d’aménagement est généralement centrée sur l’utilisateur. Comment mettre les salariés au cœur des projets ?

FS : En les faisant devenir acteur du projet par une démarche de projet itérative et créatrice qui s’appuie sur la collaboration des parties prenantes du projet. Cette démarche permet de responsabiliser les salariés qui deviennent ainsi des relais efficaces pour diffuser la démarche de changement. Nommer des ambassadeurs au sein des métiers, à même de faire le lien entre le projet et leurs collègues, s’avère très efficace. La constitution de groupes thématiques, associant expertises internes (immobilier, RH, digital…), externes (assistant à maîtrise d’ouvrage) et salariés crée également une réelle émulation, car ils constituent un point de rencontre entre la réalité concrète des métiers et les contraintes techniques que doivent gérer les spécialistes.

On est donc dans une démarche de co-création ?

FS : Oui, comme pour bon nombre de projets professionnels, c’est sur l'assemblage de compétences internes et externes que repose le succès. De plus en plus d’entreprises ont d’ailleurs recours au design thinking, qui transforme la conception des espaces de travail en une démarche collective. Cette logique de co-création est déterminante pour l’adhésion des équipes au projet : voir leurs propositions prises en compte renforce le sentiment de reconnaissance de chacun. La co-création pour concevoir les nouveaux espaces préfigure finalement la logique collaborative encouragée aujourd’hui par les entreprises pour améliorer leurs performances de manière générale. L’espace de travail devient un outil stratégique de recrutement et de management.

Cette logique a-t-elle tendance à aplanir les rapports de management ?

FS : En se fondant sur la mise en commun des besoins et des réflexions des salariés, ce type de méthodologie rend les rapports managériaux moins pyramidaux. Dans un contexte de transformation des environnements de travail, le rôle du manager sera dorénavant plus proche du formateur ou du coach que du donneur d’ordre. Le lien se transforme durant la maturation du projet et continue de s’aplanir avec les nouveaux modes de travail associés : le manager devra par exemple apprendre à gérer le temps et l’espace avec des équipes plus mobiles qu’auparavant, dans les locaux et hors les murs. Une réflexion sur l’autonomie et la responsabilité de chacun qui préfigure l’entreprise de demain.