La collaboration ? Une fumisterie ?

Thierry De Baillon, cofondateur de l'agence Socialearning (agence conseil en organisation et en stratégie collaborative) nous livre un article au titre  provocateur à dessein,et qui à en partie inspiré l'interview vidéo qu'il m'a accordé autour du "Social learning et des pratiques collaboratives"
en compagnie de son associé Frédéric Domon.
La collaboration est-elle un mot employé abusivement, quelle est sa réalité ?

 

La collaboration ? Une fumisterie ?


Il faut se rendre à l'évidence : nous, êtres humains, sommes égoïstes, individualistes et de manière évidente accrochés à tout privilège que le pouvoir permet d'acquérir. La bonne volonté et le partage avec nos pairs suivent le principe de Nielsen, et la plupart d'entre nous n'imaginent même pas que l'on puisse se comporter autrement, à moins d'y être obligés. Le Web social montre la voie à de nouvelles manières de faciliter l'échange de savoir, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de nos organisations, mais les comportements collaboratifs, indispensables à l'éclosion de modes de travail en accord avec la nouvelle économie en réseau qui est en train de se dessiner, ne sont présents (voire même imaginables) que chez bien peu d'entre nous.

Communautés et confiance : la dure réalité

Dans ce contexte, les piliers de la collaboration efficace et créative que sont les communautés connectées et la confiance, risquent d'être bien plus difficile à mettre en œuvre que ne le proclament les apôtres de l'Entreprise 2.0. Le développement et l'accompagnement des communautés est un sujet à la mode, mais quelle réalité recouvre-t-il vraiment ? Qui dit communauté dit passion, et la passion signifie avant tout vouloir apprendre de ses pairs. Aucune vraie communauté ne peut exister sans passion. Des milliers de pages Facebook sont créées chaque jour au nom de la promesse presque toujours fallacieuse de construire des communautés. La page de Coca-Cola a environ quinze millions de fans, mais existe-t-il une seule raison d'appeler ce rassemblement une «communauté» ? Une quelconque interaction en profondeur ou, disons le mot, une quelconque collaboration y est-elle à l'œuvre ?

Version interne, cela ne fonctionne guère mieux. Au niveau de l'entreprise, la plupart du travail collaboratif est, en fait, du travail d'équipe, au sein duquel la coopération est alignée sur les tâches, de façon linéaire et prévisible. Les communautés de pratiques, qui développent avec le temps de véritables comportements collaboratifs et adaptatifs, reposent bien plus sur la passion, la patience et l'implication que sur les technologies 2.0. Elles fonctionnent généralement bien en ligne lorsqu'elles fonctionnent bien hors ligne. De plus, bien des exemples «réussis» d'initiatives autour de l'Entreprise 2.0 ne présentent comme preuve de cette réussite que les nombre de connections enregistrées et le nombre de «communautés» créées. Socialwashing à tous les étages.

La véritable collaboration requiert non seulement le développement d'un environnement collectif favorable, mais aussi de la confiance. Le problème est que la confiance est une qualité en voie de disparition. Les marques ne peuvent prétendre ignorer que les clients leur font chaque année de moins en moins confiance, et que cette érosion de la confiance s'exprime partout, y compris sur les médias sociaux. Dans les entreprises, le niveau de confiance est encore plus bas. Le micro-management, l'évaluation continue basée sur la performance dans des environnements de travail prédéfinis, la pression hiérarchique et économique, ont gravement endommagée la confiance parmi les employés. Dans la plupart des cas, la collaboration est une fumisterie.

Adoption ne vaut pas diffusion

Malgré tout, l'entreprise réellement collaborative est sans l'ombre d'un doute le modèle organisationnel le mieux adapté pour faire face à la complexité grandissante de nos environnements économiques, comme pour doter les écosystèmes de nos entreprises d'avantages compétitifs durables. Plus que jamais, les organisations doivent changer leur mode de pensée. Les travailleurs du savoir doivent continuellement pouvoir disposer de nouvelles ressources, tandis que travail et apprentissage doivent se fondre en un flux continu. Mais, alors que si peu d'entreprises sont suffisamment mûres pour accepter et adopter cette complexité et ainsi redéfinir le travail en termes de flux fluide et collaboratif, comment pouvons-nous aider et accompagner les autres ?

Bertrand Duperrin propose l'introduction de routines sociales dans le workflow quotidien des employés. Un tel modèle facilite l'adoption de pratiques collaboratives, mais ne tient compte ni des relations réelles entre les membres d'une entreprise et du manque sous-jacent de confiance, ni d'un des défauts majeurs des processus business : les «socialiser» permet plus facilement de prendre en compte les opérations floues ou incertaines, une approche voisine de celle des Barely Repeatable Processes de Thingamy, mais ne fonctionne pas correctement lorsque l'issue elle-même est incertaine. Les processus fonctionnent lorsque le résultat en est prévisible, ce qui est de moins en moins le cas.

Gil Yehuda vient de proposer un autre modèle, en proposant la mise en place d'une dynamique collaborative aux côtés des modèles traditionnels de management, basés sur la hiérarchie et les récompenses. C'est une vision très intéressante mais je crois que le développement de mécanismes collaboratifs modifiera profondément la structure des organisations, et que la coexistence des modèles n'est pas viable de la manière dont il le propose. Ce dont nous avons besoin n'est pas de forcer l'adoption de nouvelles pratiques dans des structures conservatrices, mais de faciliter leur diffusion, par l'utilisation et la modification de mécanismes existants, quoique latents, pour permettre l'émergence de nouvelles pratiques.

Redéfinir le client en interne

J'ai récemment écrit sur le nouveau type de relations que les entreprises peuvent (et doivent) construire avec leurs clients et leurs non clients. Ces relations ne sont pas basées sur une transaction, mais reposent sur la valeur que les entreprises peuvent créer en aidant les clients à résoudre les problèmes qu'ils rencontrent dans leur vie quotidienne, en leur proposant de meilleurs produits et services. Le Web social facilite cette logique à dominante service, permettant de recueillir davantage d'informations à partir des interactions entre les individus (c'est ce à quoi s'emploie le CRM Social). La mise en place de ce type de relation est un pré-requis de la collaboration, dont le but ultime est la co-création de valeur. Je ne parle pas là de communication ou de pseudo marketing des médias sociaux, mais d'un changement des fondamentaux de l'économie et du marketing. Le manque de confiance, et l'inconsistance des soi-disant «communautés de marque» ne posent pas de problème dans ce contexte. Pourquoi ne pas appliquer le même modèle en entreprise ?

Les «clients» ont toujours été une réalité interne. Mais les entreprises en ont aujourd'hui une perception périmée, la plupart des interactions internes étant orientées vers la vente de services ou le push des décisions du management vers les équipes. Plutôt que d'aider leurs clients à faire ce qu'ils ont à faire en entretenant une interaction constante, beaucoup de fonctions support les mettent au bout d'un entonnoir orienté processus. Par exemple, la DSI formalise en vain ses relations avec ses clients internes à travers la gestion des exigences, malgré leur inaptitude avérée à résoudre des problèmes réels en temps réel. Redéfinir le client interne en suivant une logique orientée service permettrait de jeter les bases organisationnelles de la collaboration. La plupart des services en bénéficierait; les Ressources Humaines, par exemple, pourrait mettre en place un vrai développement de carrière, au-delà des référentiels métiers et fonctions.

Au niveau individuel, la même définition du «client» (celui qui est impacté par nos actions et nos propositions) et un comportement identique généreraient une nouvelle forme de relations, et favoriseraient un changement de mentalité favorable à la collaboration. Que se passerait-il si les managers considéraient leurs équipes comme des clients ? Faciliter la tâche de ses subordonnés et observer la manière dont ils les gèrent... Comme me le faisait remarquer Olivier Blanchard, cela ressemble à de bonnes pratiques de leadership. Bien sûr, mais tandis que nous savons comment nous comporter envers nos clients, qui sait exactement ce qu'est un leader ?

Je crois que l'application en interne de ce que nous apprenons à faire vis-à-vis de nos clients externes fournit une solution concrète à la préparation du changement vers une entreprise collaborative, pour la grande majorité des entreprises pour qui la collaboration est une fumisterie. Je ne propose pas de modèle, juste un appel au passage à l'acte. Pour faciliter la diffusion de pratiques collaboratives, redéfinissons le client interne, et tenons en compte de la même manière que nous devons à présent tenir compte des clients de nos marques.


Thierry De Baillon



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