Crowdfunding en e-santé : les 5 questions en suspens

Nous l’avons vu dans mon précédent article, le crowdfunding a fait son apparition dans l’univers de la santé et de l’e-santé, charmant notamment les start-ups du secteur qui n’hésitent pas à recourir à ce système pour financer leurs projets innovants.
Néanmoins, quels avantages cette forme de financement collaboratif permet-elle d’obtenir par rapport aux formes classiques de financement du secteur santé, et quelles questions soulève-t-elle ?

Des avantages et opportunités intéressantes permises par le Crowdfunding…


Le crowdfunding représente en premier lieu une solution alternative aux modèles classiques de financement, en apportant plus de réactivité et des cycles financiers plus courts aux différents projets. En effet, plus besoin de convaincre systématiquement les financeurs classiques (banques, institutions, business angels…) avec des business models souvent lourds et longs à construire  : il suffit simplement de créer un projet et de le soumettre aux internautes !

D’autre part, le principe du crowdfunding permet de redonner le « pouvoir d’investissement » aux particuliers. Le système donne la possibilité de faire émerger des projets visant des marchés plus petits, qui passeraient habituellement à la trappe ou sous le radar de rentabilité des gros investisseurs classiques, mais sur lesquels les attentes sont bien réelles et les besoins non satisfaits, ce qui est souvent le cas dans le secteur santé.

Les particuliers concernés par ces besoins, mais qui n’ont pas forcément la puissance individuelle pour les faire aboutir, peuvent ainsi en se regroupant contribuer à faire émerger la solution qu’ils attendaient pour améliorer leur bien-être ou leur quotidien de patients dans la prise en charge de leur maladie par exemple.
Ceci illustre assez bien la logique de marché « C to B », à l’instar de la tendance d’ « uberisation » croissante de l’économie : des particuliers, en mettant à profit la mutualisation de ressources locales, réactives et disponibles, peuvent contribuer à faire émerger des business de manière plus souple pour répondre rapidement à leurs attentes.

Ce faisant, le crowdfunding permet aussi aux entreprises de s’assurer en parallèle de la réalité de leur marché : a priori, un plébiscite et un afflux de dons rapide de la part de particuliers est un bon indice des attentes liées à un projet, et donc potentiellement du succès et du potentiel business de celui-ci à terme.
Enfin, les plates-formes de crowdfunding permettent d’apporter aux entreprises et aux porteurs de projet une visibilité accrue sur le marché, en leur apportant un espace de communication privilégié touchant directement les cibles potentielles et futurs clients de leurs solutions.

…mais qui soulèvent des questions, eu égard à la spécificité du secteur santé


Au regard des avantages potentiels permis par le système du crowdfunding, un certain nombre de questions majeures émergent cependant dans le cadre du financement du secteur de la santé ou des projets de e-santé :

  • Quels types, tailles ou natures de projets éligibles ? Quels critères de sélection ? Il semble en effet que le crowdfunding soit pour le moment adapté à des projets de taille modeste et axés « bien-être » plutôt qu’à des projets médicaux poussés, même si on voit émerger des plateformes pour financer des projets de recherche médicale.
  • Quel contrôle des projets ? Le rôle des plates-formes semble ainsi primordial : les gestionnaires de ces plates-formes, et notamment celles spécialisées en santé, doivent absolument posséder, ou développer, une expertise reconnue, à la croisée des mondes Médical / IT / Ethique / Finance pour s’assurer de la légitimité des projets soumis, et de leur sécurité en regard des nombreuses contraintes et risques spécifiques liées à la Santé.
  • Quelle réaction / stratégie des financeurs classiques par rapport à ce nouveau modèle ? Les banques, labos pharma ou autres investisseurs courants voient-ils l’arrivée des plates-formes de crowdfunding comme un risque ou une menace pour leurs business models, ou les considèrent-ils au contraire comme une source stratégique complémentaire, quitte à créer pourquoi pas leurs propres PF de crowdsourcing « en marque blanche » pour garder un œil et une main sur ces opportunités ?
  • Quelles rétributions des donateurs ? Le principe de crowdfunding prévoit en général de « récompenser » ces derniers lorsque le projet voit le jour suite à leur contribution financière, par exemple en leur attribuant un exemplaire du device produit, ou un test gratuit du service créé. Dans le cadre de projets Santé, il n’est pas concevable par exemple que l’on puisse distribuer des médicaments gratuitement, ou des devices médicaux aux généreux donateurs…
  • Quels leviers pour passer de petits projets à des gros projets de plusieurs millions ? Les projets financés aujourd’hui en crowdsourcing ne dépassent pas plusieurs dizaines de milliers d’euros de financement, ce qui permet déjà à bon nombre de projets « locaux » de démarrer et de produire des premiers exemplaires des solutions pour les lancer sur le marché. Néanmoins, afin de permettre à ces projets de passer à une échelle industrielle, le recours aux sources classiques de financement reste un passage obligatoire, une fois passés les premiers stades de démarrage de l’activité. A l’avenir, un modèle hybride mêlant crowdfunding et financement classique s’imposera-t-il, ou verra-t-on à l’inverse une spécialisation de chaque système de financement en fonction du type de projet considéré ?

Il sera intéressant de suivre au fil du temps l’évolution de cette tendance au crowdfunding pour les projets santé, afin de déterminer si ce modèle pourrait à terme devenir une source majeure et pérenne de financements, au même titre que les filières de financement actuellement dominantes (corporate ou capital risque).

Et vous, qu’en pensez-vous ?

 

Jean-Yves.

 

crédit photo : © vlorzor
 

Jean-Yves Dugardin

Manager au sein du secteur santé chez Orange Consulting, je me passionne pour la révolution de l' e-santé et des nouveaux usages permis par l’innovation technologique et digitale, que je côtoie au gré de nos missions de conseil pour l’ensemble des acteurs de l’écosystème Santé.