télémédecine : homo-connectus

Les Entretiens Médicaux d’Enghien 2014 étaient consacrés à la télémédecine. Comme d'habitude quand une rupture technologique bouleverse l'ordre établi, il y a les "pour" et les "contre".  Les "pour" y voient une réponse aux déserts médicaux et une manière de réduire les dépenses de santé.  Les "contre" dénoncent la déshumanisation de la médecine, les risques de délocalisation des plateformes médicales d'appel.

la chaîne de soins se déchaine


Disons le, ce combat sera dépassé avant d'exister. En effet sous l'effet conjugué de la démographie médicale, qui ne permet plus un accès fluide aux soins, de la pression des industriels, qui arrivent avec des solutions innovantes, de la classe politique qui cherche à contenir les dépenses de santé et des pharmaciens et des paramédicaux qui voient dans cette conjonction d'événements une opportunité de revendiquer de nouvelles missions. Les lignes vont fortement bouger.

Ajoutons à cela, que les "Big player" vont s'en mêler. Apple a déjà intégré la santé à son dernier IOS. Il y a aujourd'hui plus de 100.000 applications mobiles d'e-santé disponibles.
Walmart prévoit d'ouvrir 5.000 centres de consultation "Low-cost". Enfin, le secteur de la télémédecine enregistre aujourd'hui une croissance de 20% aux États-Unis. De quoi aiguiser l'appétit des marketeurs, qui vont surfer sur la confusion sémantique qui s'installe entre télémédecine, e-santé, médecine connectée... pour nous vendre un tas de choses, qui n'ont rien à voir avec la télémédecine, telle qu'elle est définie par la loi (1).

l'homme connecté


Que ce soit par le biais de gadgets plus ou moins fiables, ou avec des vrais outils de captation de données, l'homme ressent le besoin d'être sécurisé. Il veut tout connaitre de lui: le nombre de ses pas, son indice de masse corporelle, son rythme cardiaque.... Dans une société qui s'attache à nier le risque (principe de précaution), il veut être ausculté en permanence. C'est donc de son plein grès que l'homme va se connecter et qu'il  va transmettre ses paramètres de santé. Ces paramètres intéressent déjà beaucoup de gens et vont faire l'objet d'un vrai "Data-business".

Au législateur d'anticiper les dérives. Aux acteurs thérapeutiques d'utiliser ces données pour éduquer, surveiller et anticiper.

  • Éduquer le patient, c'est lui apprendre à utiliser les données qu'il recueille au service de sa santé.
  • Surveiller la bonne observance d'un traitement ou l'évolution des pathologies, notamment des maladies chroniques (15 à 20 millions de malades en France), c'est aujourd'hui plus facile grâce aux objets connectés, à condition qu'ils répondent à des standard de qualité suffisants (2).
  • Anticiper les incidents graves est une des applications de la télémédecine, comme en témoigne le programme PIMPS, primé par le jury des EME-Awards 2014 (3).

des freins mais des opportunités aussi


En France, les freins au développement de la télémédecine sont essentiellement de nature économique et réglementaire. En effet, l'ARS (Agence Régionale de Santé) ne reconnait à ce jour qu'un seul acte de télémédecine. La situation devrait évoluer rapidement, mais cela veut dire qu'aujourd'hui un médecin généraliste ne peut pas se faire payer un acte de téléconsultation. Le paiement des actes en libéral et celui du temps médical consacré au partage d'expertise en milieu hospitalier sont les premiers freins à lever pour favoriser le déploiement de la télémédecine en France.

Même si la tarification reste un point épineux, ce n'est pas le plus difficile à résoudre. Pour que la télémédecine fonctionne et rende les services qu'on attend d'elle, il va falloir mettre en place de nouvelles organisations en exploitant au maximum les compétences et les points forts de tous :

  • Les infirmiers et les pharmaciens, dont la répartition harmonieuse sur le territoire, la proximité avec le patient et la compétence technique sont les points forts.
  • Les paramédicaux, qui par le biais de délégations de compétences, peuvent assurer certains examens et les transmettre.
  • La médecine libérale et la médecine hospitalière qui doivent s'organiser en réseau et apprendre à mieux communiquer.
  • Les hospitaliers entre eux pour partager les connaissances, bénéficier d'avis d'expert, optimiser les ressources et le temps médical.
  • Il faut également profiter de l'interconnexion des professionnels de santé pour mettre en place le partage des données, afin d'éviter les actes redondants qui plombent les comptes de l'assurance maladie, c’est l’un des axes abordés dans le projet de loi de santé fraichement sorti par le Ministère de la Santé.

En résumé, l'avènement de la télémédecine est une formidable occasion de repenser nos organisations et de revaloriser le rôle de tous les maillons de la chaine de soins, avec un objectif unique : améliorer l'efficience de notre système de santé.

Ca bouge !


De nombreuses expériences sont en cours, comme télé-AVC déployé en Ile de France et qui est, sans doute, à ce jour, le plan le plus ambitieux au monde.

L'objectif est simple : il s'agit d'utiliser les nouvelles technologies pour entrer plus vite en communication avec un expert. Ce gain de temps pour apporter la bonne réponse thérapeutique se traduit par moins de séquelles et un temps d'hospitalisation réduit.

Dans un autre domaine, PIMPS est un plan de suivi des malades atteints d'insuffisance cardiaque. Il donne la possibilité d'anticiper les poussées de la maladie plusieurs jours à l'avance. C'est moins anxiogène pour le malade et cela permet une meilleure organisation du service.

Ce ne sont que quelques exemples parmi les centaines de projets en cours dans l'Hexagone. La téléradiologie, le suivi des maladies chroniques et des personnes âgées, le suivi post-opératoire à domicile seront sans doute les premiers secteurs à bénéficier massivement de la télémédecine.
Le village Terre s'organise. Aujourd'hui aux États-Unis, un  tiers des radios est interprété hors des frontières. En clair, pendant que les Américains dorment, les Indiens et les Chinois prennent le relai. Ils sont de garde ! Faut-il s'en inquiéter ? Faut-il crier à la délocalisation de la médecine ? Ou faut-il se féliciter de ce réseau mondial qui se met en place d'une manière informelle, mais bien réelle ?

Une chose est sûre : la télémédecine va rendre de nombreux services. En Afrique, où le manque de médecins est criant. En Europe et aux États-Unis où le vieillissement de la population va entrainer l'explosion du nombre de malades chroniques. Dans le monde, dont la population va s'accroitre d'une manière exponentielle d'ici 2050.

la santé n'a pas de prix, mais elle a un coût


Que faut-il faire pour que la santé ne soit plus un luxe réservé aux pays développés ? Quelles solutions appliquer en France, pour que notre système de protection continue à fonctionner ? Sur quel paramètre agir ? Le service rendu au patient ou le coût des prestations ?

L'étude des données pour mieux comprendre l'économie de la santé, l'optimisation des process, la chasse aux actes redondants sont autant de gisements d'économies à réaliser sans entamer la qualité des soins.

La technique et le big data rendent de plus en plus de choses possibles. La télémédecine n'est qu'un outil. Il ne faut pas en avoir peur. Le vrai défi est d'inventer les organisations qui permettront d'optimiser le service rendu au patient en utilisant au mieux les ressources humaines et techniques dont nous disposons.

L'arrivée des moteurs de recherche, des encyclopédies en ligne, des MedTech et de la télémédecine a marqué un tournant. Aujourd'hui les innovations ne viennent plus exclusivement du monde médical. Les ingénieurs s'en mêlent en proposant des logiciels, des applications, des robots... Quand aux patients, ils ne patientent plus. Ils s'activent. Ils prennent leur santé en main. Ils s'informent, se regroupent en réseaux, ils se connectent.

En conclusion, la médecine bouge au rythme de la société. Il y a les "pour" et les "contre". Lors des EME, nous avons constaté que les opinions négatives étaient majoritairement du coté de ceux qui ne connaissaient pas ces nouvelles technologies, tandis que les professionnels qui les utilisent au quotidien déclarent qu'ils ne voudraient pas revenir en arrière.
 
Jean-Claude.


 
(1) L’article 78 de la loi « Hôpital, patients, santé, territoires » (HSPT), du 21 juillet 2009, a reconnu la télémédecine comme une pratique médicale à distance mobilisant des technologies de l’information et de la communication (TIC). Cette définition figure désormais au code de la santé publique.

(2) On peut acheter un écran PC à partir de 50€, mais pour interpréter correctement une radio, il faudra un écran Ultra HD calibré à 15.000€.

(3) PIMPS - Plateforme Interactive Médecins Patients Santé - Le projet PIMPS a été primé par le Jury des EME-AWARDS, parrainé par Orange Healthcare.

 

crédit photo : © stillkost
 

Jean-Claude Durousseaud

La qualité d'une réunion c'est d'abord son contenu et la pertinence des problèmatiques posées, c'est pourquoi je privilégie une approche journalistique dans tous les sujets que j'aborde. Organisateur de congrès, j'essaye de créer des opérations fortes de sens en privilégiant le contenu sans pour autant négliger la forme.