Numérique et magasins : un demi-siècle de digitalisation

La digitalisation des magasins transforme notre rapport au commerce de détail, pas toujours comme on l’imagine. Pour y voir plus clair sur ce phénomène, je suis allé interroger Sandrine Cadenat, enseignant-chercheur à l’Université Paris-Est et spécialiste du management des points de vente.

Quelles ont été les grandes étapes en matière de digitalisation des magasins ?

La digitalisation des magasins remonte aux années 70 et répond, suivant les périodes, à des enjeux différents.

Une première période, jusqu’à 2010, s’est concentrée sur l’optimisation des process.

Les premiers systèmes de point de vente électroniques, en remplacement des caisses enregistreuses manuelles, ont permis d’automatiser les opérations de vente au détail.

Le système de lecture des codes-barres, orchestré par Global Standard One (GS1) et qui s'est généralisé dans les magasins français à la fin des années 1990, ont donné aux distributeurs la pleine maîtrise de la chaîne d'approvisionnement, tant au niveau de la traçabilité des produits que de la gestion des stocks.

Prenant le relais, la seconde période s’est focalisée sur l’amélioration de l’expérience client.

Dans un contexte où cette dernière est autant, voire plus importante que le produit, les distributeurs ont multiplié les dispositifs technologiques à destination des clients : bornes de commandes et de personnalisation, vitrines interactives, scanning autonome, paiement mobile, cabines connectées, beacons, applications mobiles... place au magasin physique « augmenté », un lieu de divertissement et d’inspiration.

Toutefois, cette course effrénée à la digitalisation « expérientielle » n’est pas sans limite, en raison notamment du coût élevé des équipements, des pannes, de la difficulté à fournir en permanence les contenus digitaux, ainsi que de l’utilisation complexe pour certains clients.

Si les enseignes ont massivement digitalisé les points de vente entre 2010 et 2020, la tendance actuelle est à la rationalisation et à la concentration sur ce qui reste le « pain point » irritant majeur d’un point de vente : l’encaissement. Enfin, la période actuelle voit les efforts se focaliser à la fois sur – encore – l’optimisation des process et sur l’amélioration de la relation client. L'analyse de données et l'intelligence artificielle (IA) sont de plus en plus utilisées pour rationaliser les assortiments et les stocks et pour personnaliser l'expérience client en magasin, en fournissant des recommandations de produits et des offres spéciales basées sur le comportement d'achat passé.  

La période covid, un point de bascule ?

Elle a sans conteste permis de faire le tri dans les dispositifs digitaux créateurs de valeur, pour se focaliser sur les bénéfices de simplicité et de rapidité procurés au client : accélération de l’omnicanalité, des services de retrait en bordure de trottoir (click and collect) et des paiements rapides et sans contact pour répondre aux besoins de praticité. Le développement du commerce à distance, au détriment du magasin, a surtout incité les distributeurs à réinterroger la valeur ajoutée de leur magasins physiques.

Concrètement, quelles sont les grands domaines dans lesquels la digitalisation apporte une plus-value ? Quels bénéfices pour le distributeur et ses clients ?

Comme évoqué précédemment, il existe deux domaines majeurs dans lesquels la technologie est créatrice de valeur pour le magasin : l’optimisation des process et l’optimisation de l’expérience client.
S’agissant du premier volet, l’intégration des outils digitaux en magasin permet une gestion plus efficace des flux (meilleure connaissance de ses stocks en temps réel et diminution des ruptures par l’installation de capteurs IoT en rayon, échange de produits entre magasins unifiés au sein d’un CRM) mais également une valorisation du rôle du vendeur « augmenté » (connaissance des stocks en temps réel, capacité à identifier en direct le profil du client et à lui faire les bonnes recommandations, à l’encaisser).

Mais ceci n’est possible qu’à une condition : impliquer et former le personnel.
Concernant l’expérience client, il est surprenant de constater que, contre-intuitivement, le consommateur est moins en attente de digitalisation que de lien social, que ce soit avec les vendeurs ou les autres clients. Toutefois, la technologie – quand elle fonctionne – a fait ses preuves dans cinq domaines.

Les cinq technologies qui ont fait leurs preuves

Les technologies qui n’ont pas besoin d’être accompagnées :

  • Faire gagner temps durant les phases de scanning et d’encaissement : c’est probablement sur cette dimension que la technologie est la plus attendue par le client. Exemples : les puces RFID apposées sur tous les produits vendus chez Decathlon permettent au client de faire lire l’ensemble de son panier d’achat en quelques secondes. Amazon Go, Auchan Go, Carrefour Flash testent des magasins autonomes grâce à un combo QR code pour entrer, caméras multiples pour suivre le parcours du client et balances intégrées aux rayons pour contrôler les achats 

  

  • Informer : le QR code devrait, à terme, remplacer le code-barres pour proposer au client une information enrichie sur les produits. Exemples : Les QR codes sur les vitrines de Zara permettent aux passants d’accéder aux articles en soldes et faire connaître sa marque aux passants. Chez Intermarché, Centrakor ou Carrefour, il est possible de télécharger le catalogue promotionnel. 


Les technologies qui nécessitent souvent d’être accompagnées pour être utilisées :

  • Proposer une offre augmentée : ce service est d’autant plus intéressant qu’il concerne les enseignes historiquement implantées en périphérie sur des grands formats et qui se développent en centre-ville, sur des surfaces et avec une offre plus réduite. Exemples : Ikéa City, Ikéa Décoration, Boulanger ou Castorama.

 

  • Divertir : pour les achats hédoniques, les outils digitaux accompagnent agréablement le parcours d’achat. Exemples : dans son flagship des Champs-Élysées, Lacoste a créé une véritable expérience de divertissement : balles de tennis virtuelles dans lesquelles on peut shooter, mur digital où l’on peut voir sa photo affichée, mini terrain de golf avec écran géant pour tester son swing. Chez M&M’s, Nike ou Adidas, le client peut personnaliser ses produits. Séphora, propose de son côté des écrans de réalité augmentée pour tester les produits sur soi.

 

  • Aider le client à se projeter : des outils de réalité virtuelle qui aident à la décision. Exemples : Grâce au casque VR, Décathlon propose de visualiser l’intérieur et l’extérieur d’une tente en situation. Chez Audi City on se déplace dans et autour du véhicule, en pouvant le configurer et même le customiser. L’application Ikea permet au client d’essayer ses produits dans son intérieur en choisissant un article dans le catalogue et en le plaçant dans une photo de sa pièce. 

Quelles sont les dernières grandes avancées et tendances ? Pourquoi cette évolution est finalement très lente ?

La digitalisation se poursuit, mais avec plus de prudence et de temps que par le passé. On ne peut pas encore parler d’avancées majeures. Toutefois, le chantier mis en route par GS1 pour passer du code-barres au QR code, ainsi que les progrès en matière de technologies liées au magasin autonome (scanning et paiement sans contact et sans caisse, capteurs IoT pour la gestion des stocks) devraient impacter les magasins de façon majeure.
La digitalisation en magasin peut sembler lente pour plusieurs raisons : le coût élevé des systèmes numériques (infrastructures et logiciels), la résistance des employés au changement, ainsi que la nécessité d’une maintenance régulière. C’est pour cela que mener une étude coûts-avantages est cruciale dans une stratégie de digitalisation des magasins.

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Daniel Gonçalves

Directeur chez Orange Consulting, je contribue à créer les nouvelles expériences digitales de nos clients, tout particulièrement dans le monde du retail.

Au-delà des outils et des technologies, l’humain est le point de départ et le point d’arrivée de toutes nos recommandations. C’est l’essence même de la philosophie « Human Inside » du Groupe Orange.