L’entreprise apprenante : mise en pratique !

Cap pour l’entreprise apprenante ! Mais… Comment lancer la dynamique ? Comment faire face aux freins culturels ? Comment mesurer l’accroissement des compétences ? Croisons les points de vue de spécialistes.

Trois clés pour enclencher la dynamique apprenante

Vous voulez vous lancer mais vous ne savez pas par où commencer ? Pas de panique, je suis allée interroger Antoine Amiel, le CEO de Learn Assembly ! Learn Assembly est une société spécialisée dans la transformation des métiers de l’apprentissage, qui accompagne entreprises, acteurs publics et universitaires pour rendre les métiers de la formation les plus impactants possibles.

D’après Antoine Amiel, il y a 3 leviers à actionner pour enclencher la dynamique apprenante :

  • Le premier : s’assurer que l’on connait la réalité des compétences des collaborateurs. « De nombreuses entreprises ne connaissent pas la richesse et la diversité des profils de leurs salariés, qui peuvent provenir d’une expérience professionnelle passée ou de leur curiosité personnelle. Des équipes passent parfois beaucoup de temps à chercher des réponses à leurs problèmes alors que leurs voisins de bureau les ont déjà résolus. » Antoine accorde de l’importance à la cartographie de compétences et d’auto-positionnement, mais aussi à la diversité des profils au sein des équipes pour favoriser l’apprentissage entre pairs et à la décentralisation de l’information : « Des communautés de praticiens et des experts vont aussi pouvoir être des formateurs occasionnels. »
     
  • Le second levier correspond à l’animation managériale, qui doit donner une vision aux projets, préciser la roadmap et systématiser les rituels. « En entreprise apprenante, on ne peut se passer de personne ! ». Un rôle important est néanmoins celui du manager ou du RH, qui doit adapter le planning de production du collaborateur pour qu’il puisse mettre en pratique ce qu’il a appris en formation. Le manager doit être « le garant du transfert de connaissances, du partage ».
     
  • Le troisième levier ? Il s’agit d’aller vers l’extérieur et de travailler en réseau : « Beaucoup d’entreprises sont encore très tournées sur elles-mêmes, se pensent uniques et sont peu curieuses d’aller voir ailleurs. Or, toutes s’inscrivent dans un environnement économique, social, politique. Et on leur demande de plus en plus d’en tenir compte. »
illust-p1_7.png

Illustration : 3 leviers pour enclencher la dynamique apprenante Source : D’après l’interview d’Antoine Amiel, CEO de Learn Assembly

Ce dernier point est partagé par Cécile Fontbonne, Directrice des Nouvelles Expériences d'apprentissage à Orange, qui considère le réseau informel comme une vraie force : « Chez Orange, en France, les gens se connaissent bien, cela crée des réseaux l’entraide. »

Innover et laisser innover

Si l’apprentissage en entreprise est souvent associé aux formations, il passe aussi par des modalités plus informelles. « La formation a toujours existé, mais les entreprises prennent-elles toujours en compte les usages, les outils, les attentes, et par conséquent l’utilisateur final qu’est l’apprenant ? », souligne Yannick Dherbecourt, directeur de la communauté Accélération Digitale à Orange Consulting. Une façon de s’assurer que le parcours d’apprentissage est en cohérence avec les pratiques et les besoins du collaborateur est d’adopter une approche itérative : le parcours est construit petit à petit, avec des phases de test régulières auprès des collaborateurs cibles, l’idéal étant d’adapter « l’expérience apprenante » à chaque profil de collaborateur.

Illustration : L’approche agile, centrée utilisateur et itérative du design thinking Source

Mais le grand défi de l’entreprise apprenante est d’engager les collaborateurs et de cultiver leur envie d’apprendre. Pour cela, il est intéressant d’encourager la prise d’initiatives et l’expérimentation, par exemple en donnant aux collaborateurs la possibilité de monter des projets transverses et de faire de l’intrapreneuriat.

Cela suppose aussi de veiller à leur donner confiance en eux, notamment en les détachant de leur parcours universitaire et de leurs expériences professionnelles lointaines. « Culturellement, on reste très attaché à la formation initiale », note Frédéric Panserrieu, manager à Orange Consulting dans l’équipe Entreprise Apprenante. « Comme si tout se jouait lors de nos études et plus rien après. Alors qu'en réalité, notre parcours apprenant (re)commence et continue avec nos premiers pas dans la vie active. C'est un peu le syndrome de la ceinture noire dans les arts martiaux : on pense souvent que c'est un achèvement alors qu'il s'agit en réalité du moment où l’on commence vraiment à apprendre. »

Prendre du recul sur les acquis

Comment s’assurer que les collaborateurs et les équipes ont effectivement développé leurs connaissances et compétences ? Comment valider qu’ils les mettent en pratique dans leur quotidien métier ?

Cécile Fontbonne m’explique : « Avant, on voulait toujours évaluer, mesurer, contrôler. Aujourd’hui, la vision a changé car on s’éloigne de plus en plus des méthodes classiques d’apprentissage et le savoir est de moins en moins centralisé, descendant. Toutefois, on a besoin d’indicateurs pour connaitre l’impact de ce qui est mis en place pour encourager l’apprentissage. On peut souvent dire qui s’est engagé, combien de personnes. Mais comment mesurer l’impact ? Pour cela, on a besoin d’outils d’évaluation… à inventer avec les managers ! ».

Ces outils d’évaluation, Antoine Amiel et ses équipes les ont concrétisés, avec la plateforme Learning Boost. « Il s'agit d'une plateforme permettant de créer, administrer et analyser des questionnaires d'auto-positionnement, sur tous types de sujets, notamment la capacité à apprendre. Nos clients utilisent Learning Boost pour mesurer la maturité et les pratiques de leurs salariés, avant des programmes de montée en compétence ou de mobilité. Learning Boost est également un outil d'évaluation de la formation. La plateforme a d'ailleurs été déployée chez Orange France à 1000 salariés. »

Et comme l’apprentissage nécessite une prise de recul que l’on n’est pas toujours capable d’avoir vis-à-vis de soi-même, la culture de la rétrospective est essentielle. « Dans le modèle, il faut aussi penser à s'améliorer en continu, et ça passe très souvent par l'évaluation et le feed-back. Rétrospectives, ROTI, post-mortem, feedback 360… de nombreux formats permettent de prendre du recul, d'analyser ses réussites mais aussi ses erreurs », ajoute Frédéric Panserrieu. « Dire que l’on se plante nécessite du courage ; ce n’est pas un abus de faiblesse ».

Illustration : Le ROTI, « Return On Time Invested », soit le « retour sur le temps investi » permet de mesurer qualitativement le ratio temps passé / temps gagné. Il peut être utilisé en fin de réunion, comme dans cet exemple.

Faire face aux divers freins culturels

On l’a vu, acculturer ses équipes à l’apprentissage en continu implique quelques changements... Et qui dit « changement » dit aussi « résistance au changement ». Comment faire face aux divers freins culturels, à l’échelle individuelle et à l’échelle collective ?

Selon Antoine Amiel, s’il y a aujourd’hui une forte hostilité au changement chez les collaborateurs, c’est notamment parce qu’ils en vivent en permanence. « Ils en viennent à saturation. Je pense qu’il ne faut pas systématiquement faire de la conduite du changement avec des grands plans, mais fonctionner avec plus de simplicité et d’agilité, en amélioration continue. »

illust-p4.jpg

Illustration : La conduite du changement, Tesson  Source

S’il devait convaincre la personne la plus réticente au changement pour passer en mode apprenant, Antoine bannirait le terme d’entreprise apprenante. « Je partirais de ses problèmes quotidiens et je lui montrerais comment mettre en place des solutions. »

Et lorsque les collaborateurs ne partagent pas leurs informations ? « Partager de l’information, c’est long, c’est tout un processus qui vient s’ajouter en plus du travail quotidien », explique Antoine. « Il faut faciliter la vie des gens ! Structurer, organiser les informations et rendre les échanges nativement collectifs et collaboratifs. Et bien sûr, sensibiliser. »

Cécile Fontbonne insiste sur l’importance de montrer à chacun les bénéfices d’un apprentissage continu. Elle donne le mot de la fin : « L’apprentissage est créateur de valeur. On sait des choses et on peut compter sur l’autre pour apprendre et résoudre les problèmes ensemble. C’est du gagnant-gagnant ! »

Alexia V

Consultante à Orange Consulting, j’accompagne les organisations dans leur transformation digitale, à travers l’adoption de nouveaux outils et usages numériques.