m-santé : quelle responsabilité pour les stores ?

Nous avions parlé dans mes précédents articles de l’impact de la révision des directives « Dispositif médical » sur la qualification juridique des applications de m-santé. Aujourd’hui, je vous propose d’aborder une autre question induite par la digitalisation des DM, celle de la place des stores.

Quelle chaîne de distribution pour les applications de m-santé ?


Editeurs et fabricants de DM auront constaté dans les contrats proposés par les plateformistes une insistance particulière sur leur rôle dans la commercialisation des applications. En principe, soit le terme de « distribution » n’y apparaît pas, soit il est fait référence à cette notion pour en écarter l’application.

Encore des circonvolutions juridiques destinées à perdre le profane ? Non. Elles seraient plutôt destinées à échapper à la législation sur le DM.

Dans la chaîne de commercialisation du dispositif médical, outre le fabricant, on retrouve trois acteurs principaux :

  • l’importateur, qui introduit dans le territoire de l’UE ou de l'Espace Economique Européen (EEE) un DM en provenance d'un pays tiers en vue de sa mise sur le marché ;
  • le mandataire : établi en UE ou dans l’EEE, il est désigné par un fabricant d'un pays tiers pour le représenter vis-à-vis des autorités administratives compétentes de l’UE et l’EEE ;
  • le distributeur, personne assurant le stockage des DM et leur distribution ou leur exportation, à l'exclusion de la vente au public.

Chacun de ces acteurs est soumis à un cadre juridique aussi particulier que strict, justifié par la nature des produits en cause.

Mais en l’occurrence, dans quelle catégorie placeriez-vous le store proposant au téléchargement des applications de m-santé ? Aucune. Les contrats des plateformistes écartent soigneusement la qualification de mandataire et d’importateur. Quant à celle de distributeur, en admettant que l’hébergement soit du stockage, avez-vous déjà vu un store qui propose autre chose que de la vente au public ?

Quelle place pour le store dans la règlementation ?


Les applications de santé mobile ont ainsi introduit dans l’écosystème un nouvel acteur : les stores. Mais dans un domaine aussi sensible que celui du DM, peut-on peut laisser un acteur agir en dehors de toute contrainte ?

Si vous relisez les contrats des plateformistes, vous constaterez qu’ils s’arrogent le droit de diffuser une application mobile dans d’autres pays et catégories que celles identifiées par l’éditeur. Une application « Sport et bien-être » pourrait ainsi se retrouver dans la catégorie « Médecine » d’un store et paraître ainsi avoir été destinée par son fabricant à un usage à des fins thérapeutiques ou diagnostiques. Le fabricant serait alors dans une situation délicate. Et aujourd’hui, si l’on s’en tient aux contrats, il serait seul responsable en cas de litige.

Qu’en sera-t-il demain avec le projet de règlement sur les dispositifs médicaux ?

Tenant compte de la modification de la chaîne de commercialisation des DM logiciels, le législateur communautaire propose de revoir la notion de distributeur pour répondre à ce légitime besoin de sécurité sanitaire. Désormais, toute personne « faisant partie de la chaîne d’approvisionnement, autre que le fabricant ou l’importateur, qui met un dispositif à disposition sur le marché » serait un distributeur.

Vous l’aurez noté. Les notions de stockage et de vente au public ont disparu. Avec ce nouveau texte, seul compterait le fait de mettre le DM à disposition. Or, que font les stores sinon de la mise à disposition ?

D’accord, les plateformistes deviendraient des distributeurs. Et alors ?


Alors en tant que tels, les plateformistes seraient responsables de la mise à disposition d’un DM non conforme à la législation européenne. En cas de litige, le fabricant pourrait ne plus être seul responsable, le plateformiste pourrait également être inquiété.

En supprimant quelques mots, le législateur communautaire pourrait donc « révolutionner » l’écosystème de la m-santé en mettant de facto à la charge des plateformistes l’obligation de s’assurer de la qualification juridique de l’application de m-santé dont la distribution leur est proposée.

Définir le régime applicable à une application mobile restera vraisemblablement une question de juriste. Mais sous peu, cela devrait devenir une activité sinon plus attrayante, à tout le moins plus fréquente.

Pierre.

 

crédit photo : © macrovector
 

Pierre Desmarais

Avocat au Barreau de Paris et Correspondant Informatique et Libertés (CIL), j'exerce une activité de conseil en droit de la santé et des nouvelles technologies. J'accompagne au quotidien start-ups, PME et grands groupes développant des produits et services innovants dans le domaine de la santé et de l’opendata. Je suis également chargé d’enseignement à l’Ecole de Formation des Barreaux, au Conservatoire National des Arts et Métiers (CNAM) et à l'Université Paris VIII.