le chat : une opportunité pour transformer la relation client ? (part 3)

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de nouvelles compétences à acquérir, liées à des formes d’interaction nouvelles

Nos observations montrent également que, si la relation par chat est appréciée, elle n’est pas pour autant « facile » ou purement intuitive. Plusieurs éléments amènent à penser que, les interactions prenant de nouvelles formes, elles doivent faire l’objet d’un certain apprentissage par les conseillers, grâce à des formations ou par l’expérience.

On a pu observer une certaine lenteur dans le rythme des échanges, et une durée des dialogues parfois assez longue. Si une partie de cette lenteur est imputable aux difficultés de saisie des conseillers comme des clients, elle est également liée au contexte de « multi-activité » dans lequel se déroule l’interaction écrite : les conseillers peuvent prendre plusieurs chats en même temps (s’il s’agit de demandes simples), même si aucune obligation en la matière n’est donnée dans les sites observés (contrairement à d’autres centres - hors Orange - où certains conseillers doivent traiter jusqu’à 3 ou 4 chats simultanément). De leur côté, les consommateurs sont souvent distraits ou dispersés entre plusieurs activités au moment du chat (surf, conversations parallèles,…) ce qui rend les échanges parfois lents ou décousus. Pour ces raisons, les interactions par chat nécessitent un fort niveau d’attention ou de concentration de la part des conseillers.

les "tours de parole"

Par ailleurs, du fait de cette lenteur dans les dialogues, il devient fondamental d’être le plus clair et le plus concis possible, pour ne pas générer un nombre trop important de « tours de parole ». Il s’agit là d’une nouvelle compétence, qui doit s’acquérir finalement autant par les clients que par les conseillers. En effet, si ces derniers se plaignent des difficultés qu’ont certains clients pour formuler clairement leur demande, ou pour clore rapidement un chat (le « jeu » des tours de parole rendent parfois les salutations de fin de session interminables…), les conseillers vont devoir acquérir de nouvelles compétences : savoir comprendre et reformuler rapidement une question, bien définir le périmètre de l’échange, savoir clore un échange sans générer de frustration pour le consommateur (puisqu’aucun système ne permet de transférer les chats vers le centre d’appels ou de basculer vers une conversation téléphonique…)

Dans le cas des plateaux étudiés, cette capacité est d’autant plus difficile à acquérir que les conseillers n’ont pas, comme dans le cadre des centres d’appels classiques, accès aux fiches des clients appelant. Ils ne disposent pas non plus des mille indices qui se glissent dans une conversation téléphonique pour aider le conseiller à qualifier la demande (du son de la voix au ton du client en passant par certains propos prononcés en aparté…). Il est dans ce cas encore plus difficile de deviner les besoins des clients. Les conseillers avancent souvent sous forme d’hypothèses pour cerner les caractéristiques des personnes auxquelles ils ont affaire et leur besoin.

un contexte organisationnel adapté

On comprend alors que, pour permettre l’acquisition de ces nouvelles compétences, le chat a besoin d’être mis en place dans un contexte organisationnel favorable. Les choix de recrutement, de formation, de management sont fondamentaux pour ces nouveaux types de conseillers.

Le chat n’est pas un équivalent de la relation téléphonique en plus simple ou
en « moins stressant ». La tentation d’y mettre des conseillers éprouvant des difficultés dans un centre d’appel classique serait une erreur. De la même façon, un recrutement fondé uniquement sur le critère de rapidité de saisie ou de maîtrise de l’écrit ne saurait suffire. Les formations, l’accompagnement doivent tenir compte des nouvelles compétences à acquérir et à développer.
Notons également que le chat implique de penser différemment les collectifs de travail. Si ce nouveau média permet, en effet, davantage d’échanges de pratiques ou de partages d’informations entre conseillers (il est, en effet, plus facile aux conseillers de parler entre eux, ou de se demander conseil, tout en saisissant une réponse à un client…), le risque est néanmoins non négligeable de voir les chatteurs « isolés » du reste d’un plateau, leur activité étant finalement très différente de celle de leurs collègues au téléphone.

Plus encore, les modes de management, d’accompagnement, d’évaluation doivent aussi être pensés différemment pour intégrer ces nouvelles dimensions de l’activité. Sur ce point, on peut souligner que les outils de management (par suivi d’objectifs quantitatifs et/ou réalisation de double écoute) doivent connaître des évolutions sensibles : l’évaluation de la qualité d’une interaction par chat, dans la mesure où celle-ci est très souple, peu normée (pas de scripts…) et peu objectivée (pas d’indicateurs, ni de rémunération liée à l’atteinte des objectifs) doit se faire différemment. Ici les indicateurs changent de statut : moins contraignants, peu liés à la rémunération, ils sont néanmoins des éléments de reconnaissance, de « feed-back ». Ils sont donc nécessaires pour valoriser cette nouvelle activité et contribuent à lui donner du sens.

Les premières observations de la relation client par « chat » permettent donc d’affirmer que l’on ne peut réduire la nouveauté de ce média à la forme que prend l’interaction (écrite et synchrone). Le chat doit être pensé, accompagné, et reconnu comme proposant une nouvelle posture de vente qui doit s’acquérir dans un contexte organisationnel adapté. Il doit également être pensé en lien avec les autres canaux, avec des transferts possibles vers le téléphone, par exemple, afin de rendre la relation client plus fluide,… ou en permettant un accès à l’historique du chat dans la fiche client multicanale. A ces conditions, cette activité pourra se développer… et améliorer tant l’expérience client que l’expérience conseiller, dans une véritable perspective d’accompagnement des parcours intercanaux.

Marie Benedetto-Meyer

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Marie Benedetto Meyer

Je suis sociologue du travail et des organisations, chercheure dans le laboratoire SENSE (Sociology and Economics of Networks and SErvices) d’Orange Labs. Mes travaux portent sur la manière dont les nouvelles technologies transforment les métiers et l’organisation de la relation client. Je réalise des études sous formes d’analyses d’usage, de suivi d’expérimentations, de benchmarks ou d’enquêtes qualitatives, à Orange ou dans d’autres entreprises. Je travaille notamment sur les innovations en centres d’appels, les transformations de la RC liée au Web 2, à la prise en compte des parcours intercanaux des consommateurs. Mon travail consiste à dégager des tendances, à aider à la conception de dispositifs innovants et à formuler des recommandations sur la manière d’accompagner les changements auprès des professionnels de la relation client. Je publie également dans des revues ou des ouvrages académiques et j’enseigne à l’université et dans des écoles d’ingénieurs.