financement du digital health en 2014 : quels enseignements ?

+125%. C’est la croissance incroyable des investissements dans le secteur digital santé entre 2013 et 2014, investissements qui ont atteint le niveau record de 4.1 milliards de dollars en 2014 selon le site de l’investisseur Rock Health. Si l’on ajoute à ce chiffre que 95 opérations de fusions/acquisitions ont eu lieu et que le secteur digital santé surpasse pour la première fois le secteur biotech dans les priorités d’investissement des capitaux-risqueurs, c’est à se demander si l’on n’assiste pas en ce moment à la création et au gonflement d’une bulle « digital health ». Investissements en forte croissance, oui, mais bulle spéculative pas forcément au regard des éléments suivants.

des sources d’investissements diversifiées qui soutiennent le secteur

A y regarder de près, les sources de financement se sont multipliées ces dernières années, et on ne peut que constater que les différents investisseurs présents ont tous un rationnel fort pour accompagner les entreprises du secteur :

  • des fonds de capital-risque « classiques » attirés par les innovations de rupture proposées mais aussi par la taille du marché adressable et les perspectives de croissance attendues,
  • des fonds Corporate IT (Google Ventures, Qualcomm Ventures) ou Corporate Santé (Merck Global Health Innovation Fund, Johnson & Johnson Development Corporation) venant chercher les futures pépites pouvant compléter avantageusement leur portefeuille de produits/services,
  • des fonds Corporate « mixtes » se lançant pour investir spécifiquement le secteur digital et notamment tester les approches « beyond the pill » (cf. annonce commune début 2015 de Qualcomm et Novartis sur la constitution d’un fonds dédié de 100 millions de dollars),
  • et enfin de nouveaux investisseurs ayant un intérêt direct au développement de ces nouvelles technologies pour faciliter et optimiser leurs missions au quotidien : payeurs, assureurs et même hôpitaux/cliniques.

une confiance en hausse dans les business models

Même si les chiffres montrent que l’on reste majoritairement sur de l’investissement dans des phases dites « à risque » avec 77% des montants investis en 2014 en direction de sociétés « early et mid-stage », la confiance des investisseurs semble se renforcer. En effet, les perspectives de sorties, et donc de plus-values potentielles, se matérialisent :

  • les grands acteurs du dispositif médical qui font évoluer leurs business models pour y intégrer des solutions digitales et de la connectivité, deviennent des acquéreurs potentiels (cf. acquisitions de Corventis par Medtronic, rachat de CardioMEMS par St Jude Medical),
  • de nouveaux entrants aux ambitions importantes dans le domaine santé (Google, Apple, Samsung,…), qui sont autant d’acheteurs en puissance de start-ups et PME innovantes,
  • des introductions en Bourse, notamment aux Etats-Unis, avec les IPO de Castlight Health (cloud santé), Imprivata (solutions d’accès sécurisés aux données patients) ou Everyday Health (plateforme de contenus et d’analyse de données santé).

des fondamentaux sectoriels toujours aussi solides

On ne le dira jamais assez, le développement de nouveaux outils et de nouvelles solutions digitales permet d’apporter des réponses à des besoins réels, aussi bien médicaux que sociétaux :

  • nouveaux outils de prévention et de diagnostic,
  • simplification et automatisation du suivi de pathologies chroniques,
  • responsabilisation et accompagnement du patient dans sa prise en charge,
  • télé-expertise et outils collaboratifs pour les professionnels de santé,
  • accompagnement du vieillissement de la population et de la perte d’autonomie.

On peut penser que ces champs d’investigation vont continuer à stimuler durablement l’ensemble des acteurs de l’écosystème santé. Ces acteurs devant inventer de nouveaux modèles et se coordonner pour introduire efficacement ces nouvelles solutions pour le bénéfice des patients et des systèmes de santé. Cette tendance de fond positive et les enjeux auxquels le secteur doit répondre (vieillissement de la population, systèmes de santé à réinventer, etc…) confortent les investisseurs sur le potentiel et la solidité du secteur à long terme.

de multiples paris à poursuivre

En analysant un peu plus en détail les sujets d’investissement des capitaux-risqueurs en 2014, on voit se dessiner en filigrane les paris d’avenir de la santé digitale. Plus spécifiquement, on peut distinguer trois sujets qui devraient contribuer dans les prochains mois à accélérer la transformation digitale du secteur de la santé :

  • l’analyse de données santé/smart data, avec le développement d’outils et de solutions analytiques avancées permettant d’exploiter et de croiser rapidement, voire en temps réel, les gisements de données existantes (R&D, clinique, patients, etc…) pour des usages décisionnels et/ou prédictifs,
  • le quantified-self, segment qui se développe déjà très fortement avec montres et autres objets connectés permettant l’automesure, mais qui recèle encore des pistes prometteuses autour du développement de services évolués allant au-delà des tableaux de bord, de l’interopérabilité et de l’intégration aux pratiques médicales,
  • la santé « à la demande », concept poussé par la forte demande des patients d’accès rapide et flexible aux professionnels de santé pour des besoins de consultation, de suivi de traitement et/ou d’éducation thérapeutique.

Alors oui, au vu de tous ces éléments, on ne peut que nourrir les plus grandes ambitions pour 2015 et la dynamique de l’e-santé devrait se poursuivre sur les mêmes bases et peut-être même au-delà ; mais il y a un hic pour nous Européens. Le souci est que tous ces chiffres concernent principalement les Etats-Unis et à quelques exceptions près, des sociétés américaines. Alors, quid de l’Europe ? Eh bien, il existe plusieurs raisons, pour la plupart connues, pour expliquer ce différentiel : un manque de culture entrepreneuriale, des liens plus faibles entre capital risque et innovation, un marché important mais fragmenté qui rend difficile le changement d’échelle et l’accès aux commandes publiques, des systèmes de santé « administrés » ne favorisant pas forcément l’innovation, etc…

Mais en ce début d’année, pourquoi ne pas voir aussi les raisons de l’attractivité de notre marché européen pour les investisseurs ? Nous ne manquons en effet pas d’atouts pour stimuler des investissements dans le domaine digital santé : un écosystème d’innovation IT/santé qui monte en puissance (incubateurs dédiés, label French Tech, présence française et européenne en hausse au CES 2015, etc…), une mobilisation croissante des pouvoirs publics, des fonds de capital-risque sectoriels qui se lancent, des industriels pharmaceutiques qui prennent conscience de la nécessité d’intégrer des solutions IT/santé tournées vers le patient, etc…

Autant de sujets à explorer dans de prochains articles !

Thomas

 

Thomas Martinelli

Manager secteur santé chez Orange Consulting après une expérience de plus de 10 ans dans le conseil en stratégie et le dispositif médical innovant. Je suis particulièrement intéressé par l’introduction de nouveaux concepts et de technologies de rupture dans l’écosystème santé. Autant de sujets que nous avons l’occasion de couvrir pour nos clients industriels : de la définition de leurs business cases, au design et à l’implémentation de leurs projets e-santé.