à propos des risques à vouloir imposer des dates irréalistes

Il n'est pas rare que les dates du projet, en particulier celle de fin, soient imposées au chef de projet et à son équipe. Sont-elles réalistes? Comment ont-elles été estimées et agréées? Quel est leur fondement?

Voici quelques idées pour mieux appréhender ce problème somme toute très courant.

L'arbitraire...

Rappel des 3 paramètres: Tout projet s'inscrit dans un triangle dont les sommets sont le temps, les coûts et le contenu. Vouloir figer l'un des sommets implique souvent des sacrifices sur l'un ou l'autre des deux autres. Donc, fixer une échéance calendaire de manière arbitraire peut amener l'équipe projet à essayer de réduire le contenu afin de tenir la date. Cela peut également conduire à un accroissement des coûts par l'utilisation de davantage de ressources pour atteindre à tout prix l'objectif de date ou bien des ressources de compétences supérieures ou de coûts plus importants. Bien sûr, ces deux alternatives généreront les discussions nécessaires avec sponsors et commanditaires pour arriver à un accord. Si la date imposée est absolument irréaliste, il est du devoir du chef de projet de tirer la sonnette d'alarme quitte à refuser le projet (voir le « Code of Ethics and Professional Conduct » de PMI ).

Coté sponsors et commanditaires, il faut être en mesure, et je dirais même se faire un devoir, d'expliquer le pourquoi de dates imposées. Ces raisons peuvent tout à fait être valides et l'équipe projet qui les aura intégrées sera d'autant plus motivée pour les atteindre. Un exemple vécu fut la mise en place d'un nouveau système de comptabilité dans une grande entreprise internationale. Le sponsor de l'équipe avait pris le temps d'expliquer à l'ensemble des parties prenantes, équipes projet, futurs utilisateurs, et management, l'impératif d'un démarrage sur de nouveaux processus et applicatifs au 1er janvier. Tout retard aurait causé de grandes difficultés de reprise de l'existant pour l'année en cours, de travail supplémentaire pour chacun... L'ensemble de l'entreprise étant dès lors mobilisée, le déploiement se déroula dans les temps et fut un succès.

Estimations approximatives

Il existe de nombreuses techniques d'estimation plus ou moins scientifiques. Les plus répandues sont les méthodes analogique, paramétrique, intuitive ou avis d'experts, et "Bottom-Up". Sans entrer dans les détails dans cet article, on estime par analogie en comparant un projet futur à des projets similaires déjà réalisés en extrapolant les estimations. Par exemple, si j'ai déjà implémenté un progiciel dans le pays X et je dois déployer ce même produit dans le pays Y qui de taille et complexité comparables. J'estime par analogie que le coût et les délais pour le pays Y seront sensiblement les mêmes que pour le pays X. La méthode paramétrique s'attache à un haut niveau à définir le ou les paramètres qui permettent d'estimer durée et coûts. Souvent utilisée dans le monde du développement logiciel avec des paramètres tels que le nombre d'écrans, de lignes de code, d'interfaces entre systèmes, et autres « Function Points »... La méthode intuitive est comme son nom l'indique basée sur l'appréciation personnelle de celui qui estime et elle sert principalement à donner un ordre de grandeur. Elle est particulièrement utile en amont pour prioriser les approches et en aval pour identifier des incohérences dans les résultats produits par des méthodes plus détaillées. Les avis d'experts sont souvent utilisés pour rationaliser les résultats intuitifs. Ce ou ces experts puisent dans leur expérience et compétences pour fournir des estimations les plus réalistes possible. Enfin, la méthode "Bottom-Up", plus analytique exige beaucoup plus de travail détaillé au niveau de chaque livrable du projet pour en estimer efforts, durée et coûts. En général, elle est mise en œuvre grâce à la structure de décomposition du projet, le Work Breakdown Structure (WBS), et l'on s'efforce d'estimer les taches à réaliser au niveau le plus bas possible. L'idéal est de faire appel à plusieurs méthodes d'estimation et d'en comparer les résultats.

Implication de l'équipe et du chef de projet

Pour que le projet soit un succès, il faudra que l'équipe projet s'approprie les dates, même imposées, ainsi que les estimations d'effort... Si nous prenons l'exemple de Scrum dans le logiciel, au début de chaque itération de développement sur le produit (le Sprint), les membres de l'équipe eux-mêmes ont souvent la possibilité de choisir dans la liste priorisée des besoins clients (le « product backlog ») les livrables qu'ils s'engagent à réaliser sur la période. Ils sont dès lors pleinement engagés sur la tâche et les délais. Au minimum, le chef de projet doit pouvoir être intimement convaincu que les dates peuvent être tenues pour à son tour motiver son équipe sur les délais, le contenu et la qualité.

Plans réalistes et atteignables

Réalistes pour qui ? En premier lieu pour l'équipe. Comme mentionné ci-dessus, le chef de projet et son équipe vont devoir répondre de manière positive aux questions suivantes:

  • Parviendrons-nous à livrer un produit ou service dont nous serons fiers dans les délais ?
  • Quels sacrifices cela demandera-t-il et y sommes-nous prêts ?
  • Aurons-nous le support nécessaire de nos sponsors ?


Vouloir maintenir une date malgré les retards au démarrage

Ce cas est hélas on ne peut plus fréquent. Les estimations fournies sont correctes et la date de fin septembre était atteignable en démarrant au 1er janvier. Mais voilà, nous sommes le 8 Mars et cela fait plus de trois mois que sponsors et financiers hésitent, posent des questions complémentaires, n'arrivent pas à trouver des créneaux horaires pour se rencontrer... Enfin, ils se sont vus ce matin et sont d'accord, nous avons le feu vert, bonne nouvelle! Et (moins bien) on nous demande de respecter la date de fin septembre et de ne pas dépasser les coûts!!! Cela peut vous paraître familier, j'en suis certain. Cependant, sauf à avoir gonflé outrageusement nos estimations (de 30%) ou pouvoir tailler dans le contenu des livrables, ce sera mission impossible, car accroître le volume de ressources de manière aussi drastique sur une aussi brève échéance semble peu plausible. L'une des pratiques à respecter pour éviter autant que faire se peut ce type de situation est d'inclure un jalon d'approbation du projet (JAP) dans le chemin critique du planning proposé et de n'exprimer les dates suivantes qu'en délais depuis cette date. Par exemple, l'analyse sera terminée 2 mois après le JAP, le design 4 mois, la construction 8 mois et la phase de test 9 mois (JAP + 9 Mois). Je sais, pas facile en pratique, mais cela vaut le coup d'essayer.

Implication du client

La date convient-elle réellement au client final ? Par exemple, livrer un nouveau système de réservation hôtelière juste avant la saison touristique ne sera probablement pas une excellente idée. Peut-être vaudrait-il mieux attendre la saison creuse suivante et enrichir les fonctionnalités ou bien, au contraire, réduire celles-ci au strict minimum et livrer le système beaucoup plus tôt? De même, en comptabilité certaines périodes sont à éviter pour livrer des nouveautés: bilans, clôture de fin de mois, facturation, déclarations d'impôts... Il convient donc de bien s'assurer en amont de la pertinence des dates « imposées » par les sponsors et commanditaires et ne pas assumer qu'ils ont conscience de l'impact coté client.

Ressources

Pour une raison x ou y indépendante de votre volonté, il ne vous a pas été possible de recruter les ressources dans les temps: blocage des bons de commande aux achats, contrôles lent des recruteurs, réticences de certains managers à mettre à disposition les compétences requises... Pourtant les sponsors et commanditaires sont prêts à n'accepter aucun délai! En fait, ils ont probablement raison. C'est notre job de PM que d'anticiper, éviter ou surmonter ce type d'obstacles et de faire appel à eux pour faire sauter les blocages éventuels avant que le projet ne soit négativement impacté.

 

Michel Operto

I've been leading IT projects for more than 20 years at telecom and computer manufacturers: Thomson Sintra, Digital Equipment, NCR, Nortel Networks, Orange Business. My passion is Project Management and leadership and I run a blog on the PM best practices at http://dantotsupm.com/