économie numérique et fiscalité : un chantier de long terme

France stratégie vient de publier une note d’analyse consacrée à la fiscalité du numérique. Une question aussi complexe qu’épineuse puisque les GAFA, malgré leur puissance financière, se caractérisent aussi par de très faibles taux d’imposition.

Les cadres d’Apple ont décidément du génie ! Non contents d’aligner la plus importante capitalisation boursière mondiale (748 milliards de dollars en février 2015), ils dirigent également la multinationale qui paie probablement le moins d’impôt au monde. En dehors des Etats-Unis, Apple s’acquitte effectivement d’à peine 1 % de son chiffre d’affaires et de 3,7 % de ses revenus au titre de l’impôt. Loin d’être une exception, il s’agit plutôt de la norme parmi les GAFA. Avec 2,2 % de son chiffre d’affaires et 8,6 % de ses profits réalisés hors USA reversés sous formes d’impôt, Google lui emboîte le pas. Facebook et Amazon font encore mieux. S’ils reversent respectivement 1,5 % et 0,5 % de leur chiffre d’affaires aux administrations fiscales, ils ne sont en revanche soumis à aucune taxe sur les profits, l’un et l’autre étant déficitaires hors USA, malgré une capitalisation boursière respective de 223 et 175 milliards de dollars. De quoi faire enrager plus d’un inspecteur du fisc !

les quatre spécificités de l’économie numérique

Il faut dire que l’économie numérique présente 4 spécificités qui la distinguent radicalement des modèles de création de valeur plus traditionnels :

  • la complexité de la localisation géographique de l’activité ;
  • le rôle central joué par des plateformes qui favorisent un marché biface mettant directement en lien l’entreprise et l’internaute ;
  • la création d’un effet réseau selon lequel plus le nombre d’utilisateurs est grand et plus s’accroît leur intérêt pour le réseau ;
  • la collecte, par l’intermédiaire de services souvent gratuits, puis l’exploitation marchande de la donnée.

Autant dire que le cadre fiscal jusqu’ici en vigueur en est tout déboussolé. Axelle Lemaire, la Secrétaire d’Etat au numérique, qui clôturait la séance de présentation de cette note d’analyse, ne dit pas autre chose. « Le modèle fiscal actuel a été construit à l’époque où Internet n’existait pas » souligne la Secrétaire d’Etat.

un risque pour l’innovation

En plus de poser des problèmes d’équité et d’éroder les recettes fiscales des Etats, cette situation peut aussi s’avérer contre-productive à long terme, comme le souligne France Stratégie. « Du fait des marges financières ainsi dégagées, les entreprises peuvent conforter leur position dominante – notamment par le rachat d’entreprises innovantes qui pourraient à l’avenir les concurrencer. (…). On peut dès lors s’interroger sur le meilleur moyen de favoriser la concurrence et l’innovation à long terme ».

taxer oui, mais comment et combien ?

« A court terme, de nouveaux outils fiscaux spécifiques pourraient être envisagés, au niveau européen ou d’un noyau de pays, dans l’attente d’une refonte du cadre fiscal international » souligne la note de France Stratégie. Les économistes qui ont planché sur le sujet proposent notamment de créer des outils statistiques qui permettront d’élaborer une taxe sur la valeur des revenus publicitaires et le nombre d’utilisateurs des plateformes. Ils suggèrent également d’instaurer un taux d’imposition plus élevé pour les entreprises qui collectent et exploitent les données personnelles.

La note de France Stratégie met cependant en garde contre les risques d’une fiscalité numérique mal conçue. « Une telle fiscalité, qui reposerait sur une taxe ad valorem (au chiffre d’affaires) des revenus publicitaires ou de la collecte de données personnelles, plus facilement rattachables à un territoire, ne serait cependant pas sans incidence. Il conviendrait de veiller à limiter les effets distorsifs qu’elle pourrait engendrer : collecte plus intensive de données, instauration de services payants, exclusion d’une partie des utilisateurs, frein à l’innovation. De ce fait, un taux de taxation assez faible et la mise en place d’un seuil, en deçà duquel l’entreprise ne serait pas taxée, semblent opportuns ». Si bien que la fiscalité du numérique, c’est un peu la quadrature du cercle.

une indispensable vision à long terme

Depuis quelques années, l’OCDE et la commission européenne se sont toutefois saisis du problème et ont entamé des travaux visant à corriger les failles du système fiscal européen et international.

L’OCDE a notamment identifié quatre grandes catégories de travaux appliqués à la fiscalité du numérique :

  • redéfinir le lien entre une entreprise et un territoire ;
  • attribuer de la valeur aux données et caractériser, d’un point de vue fiscal, la fourniture d’information gratuite ;
  • caractériser les transactions dans le monde numérique (achat, location, royalties) pour lesquelles les dispositions fiscales en droit international sont différentes ;
  • collecter la TVA selon le principe du lieu de consommation.

De son côté, l’Union Européenne applique aux prestations de services électronique le principe de destination depuis le 1er janvier 2015. En clair, cela signifie que la TVA est désormais calculée sur la base du taux du pays acheteur. Il n’est donc plus pertinent de localiser par exemple ses ventes au Luxembourg (15 % de TVA) plutôt qu’en France (20 % de TVA). C’est un premier pas, même si « les transferts financiers correspondants – entre Etats-membres – ne seront effectifs qu’en 2019 », comme le rappelle France Stratégie.

L’organisme ajoute « qu’à long terme, des réformes de la fiscalité internationale doivent être engagée ». L’actuelle imposition du profit des entreprises réalisé au niveau national repose en effet sur la présence physique de l’entreprise. Or, faut-il le rappeler, ce critère n’est pas adapté à l’économie du numérique. « Dès lors, une modification des règles de répartition du bénéfice mondial entre les différentes localisations doit être envisagée. Mais une telle modification de la fiscalité des bénéfices passe par une refonte globale des conventions fiscales internationales, quelques 140 traités bilatéraux en ce qui concerne la France ; il ne peut donc s’agir que d’un objectif de long terme ». Dans son intervention, la Secrétaire d’Etat au Numérique s’est toutefois voulue rassurante, rappelant « qu’avant l’été, la Commission Européenne présentera un plan pour une synthèse fiscale juste ». Affaire à suivre.

Joévin

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Joevin Canet

Journaliste, passionné par le digital, j'ai couvert l’actualité numérique au sein de l’équipe digitale d’Orange Business et accompagné le déploiement du dispositif éditorial appliqué aux blogs et aux réseaux sociaux de l'entreprise.